andata . ritorno    laboratoire d'art contemporain 

David Mach

« No rest for the wicked »   

LE COURRIER  Culture

Samedi 3 et dimanche 4 décembre 1988

Les temps changent. Lorsqu’en 1983 David Mach avait exposé pour la première fois à Genève, dans les locaux de la Galerie Andata/Ritorno, on se trouvait en pleine explosion de la nouvelle sculpture anglaise et le travail de Mach était essentiellement interprété en termes de récupération de déchets de la société de consommation. Il est vrai qu’alors l’artiste empilait des centaines ou des milliers de pneus, magazines, bottins de téléphone, bouteilles vides et autres objets courants pour former des configurations reconnaissables au premier coup d’œil : sous-marins, char d’assaut ou Rolls.

   Aujourd’hui, David Mach revient à Andata/Ritorno, et marque dans sa nouvelle pièce à la fois la continuité de ses précédentes interventions dans ce lieu, et une rupture avec la logique de masse qu’on lui connaissait jusqu’alors : en effet, il ne s’agit plus du tout ici de figurer un objet grâce à des milliers d’autres objets, rendus à leur matière indistincte par leur concentration. Une armoire, une table, une commode, quelques chaises forment une spirale enroulée autour du pilier de soutènement  de la galerie ; aucune forme reconnaissable mais un pointage des objets, utilisés tels quels, en rien détournés de leur fonctions habituelles, simplement montrés d’une manière particulière.

   Il semble bien que Mach prolonge avec ce travail sa réflexion sur l’objet en la libérant des seuls critères sociologiques de la production et de la consommation de masse. Ces meubles que nous voyons sont des objets affectés d’une grande valeur financière (on n’achète en principe que quelques armoires dans sa vie) et d’une indéniable valeur sentimentale : de ce style indéfini qui imite l’idée que le petit–bourgeois se fait du classicisme (bois teinté, moulures et ornements lourdeaux), nous les avons tous vus, chez nous, chez une tante ou dans un cabinet de dentiste. Ce sont des objets de désir, magnifiés dans leur précaire et ridicule équilibre.

   Leur fragilité, c’est-à-dire aussi bien leur peu d’intérêt intrinsèque, leur banalité et leur réduction à des agents de construction les rend touchants, questionnables.

   Objets signifiant d’un conformisme intime, ils cessent tout à coup de remplir leur fonction de fétiches rassurants. Leur sarabande leur rend, à nos yeux, une présence merveilleuse, étonnante comme le ballet du service à thé de Walt Disney.

Lysianne Léchot

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Le point de vue de

KING – KONG

On doit à David Mach quelques-unes des émotions fortes que réussit encore, de temps à autre, à nous communiquer l’art contemporain. Rappelons pour mémoire, le sous-marin en pneus, la Rolls de papier journal et, déjà chez Andata/Ritorno, la magnifique sculpture liquide contenue dans des dizaines de bouteilles Sinalco. Le principe semblait une fois pour toutes établi : Mach travaillait sur un déplacement. Il s’y est encore employé, à Barcelone notamment, avec ses véhicules accidentés vomissant d’épaisses volutes de fumée (réalisées avec du carton découpé) qui semblaient charrier un flot hétéroclite de meubles et d’objets divers. En opérant cette disjonction entre forme et matériau, Mach ouvrait un débat passionnant sur le statut de l’apparence de l’objet industriel. Sa remise en chantier parodique de paradigmes tels que la Rolls, œuvrés à partir d’autres matériaux employés, eux aussi, dans l’industrie, avait la vertu de nous amener à nous interroger sur la nature du monde d’artefacts dans lequel nous évoluons. Un des ressorts du comique consistant précisément à isoler un fragment d’une continuité pour le plonger dans un contexte différent, les sculptures de Mach témoignaient qu’on peut, même en art, poser des questions sérieuses en riant.

   L’exposition que proposait de novembre à décembre Andata/Ritorno est, de loin, moins amusante. Mach y a changé de registre. Peut-on le lui reprocher ? Certes pas. Il n’en reste pas moins que les pièces qu’il présente aujourd’hui semblent bien fades comparées à celles qui les ont précédées ici - même. Autour de la colonne, dans la pièce principale, grimpe un escalier en colimaçon fait de dalles de granit et d’un enchevêtrement peu convaincant de meubles divers. Même scénario dans le couloir : un vieux fauteuil et deux barres de granit croisées. Il y a pire. Tout cet arrangement dans l’un et l’autre cas, tient par la vertu des petits bras (mais robustes, à ce qu’il semble) d’une escouade de poupées Barbie. Vêtues de chiffons colorés, la mèche en bataille, arborant l’éternel sourire qui laissait présager –on s’en aperçoit rétrospectivement- toutes les turpitudes des protagonistes féminines de « Dallas », elles envahissent l’univers de Mach … et le réduisent à leur dimension.

   Barbie, c’est le standard de la jeune fille saine, sportive, dynamique. Elle est grande (pour sa petite taille), blonde, bien sûr, et très sexy pour un jouet de fillette, mais nette –le Sida, à ce jour, ne l’a pas encore touchée. Une amie me raconte que, lorsqu’elle était enfant, elle n’était pas la seule à réclamer sa Barbie pour Noël. Ses frères aussi en possédaient quelques-unes. Ces pauvrettes avaient vite perdu leurs vêtements (pourtant si chers !) et évoluaient dans un univers concentrationnaire où leur bourreaux leur faisaient subir un entraînement intensif à base de gymnastique acrobatique. J’appelle cette attitude, tortionnaire et fascinée, le point de vue de King – Kong. Il est clair que la plastique avenante de Barbie vous y invite.  Souvenez-vous, l’énorme gorille tenant dans sa main la pauvre blondinette affolée. D’une caresse de sa patte velue, il la déshabille …

   C’est vers cet inconscient (pervers mais, à y regarder de près, très peu polymorphe) que nous ramène inexorablement Barbie. Son corps de jeune fille pulpeuse et, tout à la fois, élancée, réveille en nous l’instinct passablement endormi des grands primates que furent nos ancêtres. Et c’est toute la sculpture de Mach qui bascule dans ce rapport un peu ridicule de gigantisme sexuellement excité. Là, le jeu des disproportions avaient bien d’autres résonances. Que veut Mach ? Il semble bien qu’en introduisant la différence d’échelle, il vise un de ces déplacements qui sont les moteurs de son travail. Seulement ici, il reste piégé par son instrument. La Barbie n’est pas une Rolls ou un sous-marin, c’est une représentation lourdement fantasmée de l’éternel féminin : la femme – enfant – objet. Avec sa voiture de papier journal, Mach créait un objet intermédiaire, un composé décollé et de sa substance (le papier) et de sa forme (la silhouette de la Rolls). Avec Barbie, l’œuvre cesse d’être ce compromis ironique, elle verse dans le décor d’une super - production barbisante à souhait. Ce dont Mach, alors, ne parvient plus à se défaire, c’est du point de vue de King – Kong. Voilà qui peut être distrayant ; est-ce suffisant pour faire de la sculpture ?

François-Yves Morin

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David Mach

« No rest for the wicked » 

Andata . Ritorno, Genève, 1988

photo : Jacques Berthet

 

 

 

 

 

David Mach

 

 

 « No rest for the wicked » 

Andata . Ritorno, Genève, 1988

photo : Jacques Berthet

 

 

 

 

 

 

David Mach

 

 

 « No rest for the wicked » 

Andata . Ritorno, Genève, 1988

photo : Jacques Berthet

 

 

 

 

 

 

David Mach

 

 

 « No rest for the wicked » 

Andata . Ritorno, Genève, 1988

photo : Jacques Berthet

 

 

 

 

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