andata.ritorno  laboratoire d'art contemporain

Jean-François Luthy

« Incidences »

Jean-François Luthy, capteur d’ombres

 

Serait-ce un défi à ne pas confondre la nuit et le jour que de choisir la restriction formelle du noir et du blanc ? Si , quant à lui, le cinéma est né trois fois (par l’apparition d’abord de l’image en clair-obscur, du son, puis de la couleur), que peut-on dire du choix délibéré d’un artiste plasticien du deuxième millénaire de choisir la technique classique du lavis en camaïeu puis de poursuivre dans la technicité non moins traditionnelle de la peinture à l’huile, réduite toujours à la gamme du noir et du blanc, genre appelé archaïquement « grisaille » ?

 

Peut-être en fait que Jean-François Luthy a trouvé une retombée inattendue au phénomène de la chambre noire, celle-ci étant bien le lieu d’un dispositif des images inversées, le travail de l’artiste joue en effet subtilement des inversions lumineuses, (le retrouver dans un lieu artistique nommé métaphoriquement laboratoire tient donc de l’évidence). En effet, l’utilisation du medium chez lui, que ce soit par la légèreté de l’eau et de l’encre ou l’application inframince des liants de l’huile, n’est chercheur en fait que de la seule lumière par les effets de transparence.

 

Dans le parti pris du camaïeu, tout se passe comme si la représentation passait  par une acceptation du néant, le réel ne serait donc qu’un mirage de plus, en réduisant le cercle chromatique à l’extrême, il ne nous resterait donc que la lumière et se nuances déclinantes jusqu’à l’obscurité. Le lavis porte bien son nom, il nous invite à une hygiène du regard.. Les fragments de réel donnés à voir, fonctionnent un peu comme ces images de présence évanescente qui apparaissent sur la pellicule argentique des négatifs quand on les fait jouer en position de reflet. Mais ici, de par l’étonnant travail de « laborinthin* » qui est celui de l’artiste, les cartes sont brouillées, les images resteront dans un statut entrouvert et découvert à la fois, entre ombre et lumière, entre apparition et disparition, pour nous donner en plus-value une manière supplémentaire et irremplaçable de voir .

 

Dans les aurores du présent automne, j’ai vu plus de tableaux sublimes que Caspard David Friedrich n’aurait jamais eu le temps d’en peindre. – La peinture est un acte de modestie face à la beauté du monde. – Jean-François Luthy, dans ses dernières séries, a quitté l’humble sujet des cabanes dans les sous-bois, pour s’attarder à mieux scruter l’âme des pierres. Il architecture également aujourd’hui d’étranges modules industriels d’escaliers en béton, dressés vers des cieux vides. Ou bien il observe encore sur le sol des forêts la restance de foyers morts ou le feu n’a pas fini de couver sous la cendre en attente d’une improbable renaissance.

 

Sur la terre comme au ciel, le détail est une illusion de l’immensité des choses, pour qui sait la percevoir et grâce aux artistes qui savent nous la désigner.

 

                                                                    Joseph Farine

                                                                                     Novembre 2008

* J.-C. Lambert

Panorama, juin 08,encre s. papier,50x70cm

Pièces détachées, 2008, huile sur toile, 100 x 140 cm