andata . ritorno    laboratoire d'art contemporain

Marie Bourget

«installations»

Tribune de Genève

Vendredi 16 mai 1986

 

Les expos à Genève

Marie Bourget

Chez Marie Bourget, l’emploi de formes géométriques ne procède pas d’un désir de s’abstraire du réel mais au contraire d’y revenir par le biais du signe et de la métaphore. Ses sculptures accrochées au mur ou placées en rapport avec lui puisent dans un répertoire restreint de figures simples à partir desquels naissent des images élémentaires participant de références communes à tout un chacun.

Le triangle domine cette sorte de jeu de construction qui met à profit aussi bien les vides que les pleins. Combiné à un rectangle, il évoquera une maison stylisée à l’extrême, une église ou le module d’un créneau. Seul, il deviendra, selon le point de vue, montagne ou vallée.

Ces assemblages peuvent être constitués d’éléments neutres (triangle de contreplaqué, plots peints) ou plus connotés (cadres vides, miroirs).

Ils sont souvent reliés à d’autres points de l’espace par des réseaux de fils ténus qui créent des rapports de tension, soulignent le jeu des perspectives.

Une rencontre entre la nature et l’architecture qui se double d’une réflexion sur l’art, sur le pouvoir du regard, le fonctionnement et le statut de l’image.   M.D.

Galerie Andata/Ritorno, 37 rue du Stand, jusqu’au 31 mai.

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Le Courrier, samedi 10/dimanche 11 mai 1986

Marie Bourget à Andata/Ritorno

Le paysage comme vue de l’esprit

Depuis plusieurs années déjà, il est question, un peu abusivement, d’un « renouveau de l’art français ». Au tout début des années 80, ce furent ainsi les nouveaux figuratifs qu’on présenta comme « la nouvelle génération française », mais cette peinture, impulsive, outrée et assez portée sur la BD, était en fait non seulement le plus souvent sans intérêt mais surtout sans ancrage dans la tradition nationale. Il semble par contre aujourd’hui plus justifié de reprendre la formule pour une série d’artistes émergés depuis (on pense à Vieille, Verjux, Friedmann ou Vilmouth) et qui, tous, reviennent à une certaine « intelligence poétique », plus proprement « française ». Parmi eux, Marie Bourget, qui représentera d’ailleurs le pays cet été à la Biennale de Venise.

Des sculptures murales désincarnées

   Son œuvre est essentiellement consacrée au paysage, considéré de façon abstraite, et particulièrement à la façon dont les grands codes de figuration (perspective, point de fuite, cadre) le font naître. Dans des sculptures murales désincarnées, réduites à des schémas linéaires ténus et fragiles (nombre de pièces ne sont faites que de fils), Marie Bourget en livre des épures, des stylisations mentales, sortes de métaphores de représentations spatiales.

   Dans une pièce de 1984, par exemple, une « Vallée » n’est plus signifiée que par deux grands triangles superposés pointe contre pointe, l’un, fait de fil, correspondant à la coupe verticale des montagnes, l’autre, de bois, désignant la fuite de la plaine. Le paysage devient une abstraction géométrique, une construction de l’esprit, une seule forme servant à figurer deux réalités différentes, l’une de nature physique (les montagnes), l’autre illusion purement optique (la perspective) :

   Dans « Plainte », ces mécanismes perspectifs sont décrits de façon plus poussée, schématisés dans une sorte de vue aérienne du point de fuite. Au haut d’une paroi est plaqué un relief architectural duquel partent des fils –les lignes de fuite- convergeant au bas du mur, sur une plinthe figurant l’horizon. Sous ses aspect de démonstration didactique, la pièce élabore en fait une situation assez complexe pour le spectateur : son œil se retrouve perpendiculaire à des lignes qui, par définition, devraient être un prolongement de son regard, lequel est ici en fait postulé au plafond. Il se crée ainsi une dissociation  (et un retournement) entre l’image optique réelle, rendue concrètement inaccessible et envisageable seulement par l’esprit, et la construction purement mentale qui la compose et qui, elle, paradoxalement, est ce qui est offert au regard.

…Et jeu poétique

   La forme en pointe revient dans de nombreuses pièces de Marie Bourget : elle y est successivement coiffe de fée, clocher d’église, attache d’un tableau sur un clou. Mais, invariablement, elle suggère avant tout, à l’intérieur même de l’objet qu’elle compose, l’idée d’une fuite perspective et instaure ainsi un jeu poétique entre le motif décrit et la profondeur illusoire qu’elle porte toujours en elle. Ainsi, dans « A fleur d’eau », pièce où deux long tableaux blancs n’offrent strictement aucune image à la vue, aucune évocation d’espace, la figuration de la profondeur attendue, peinte ou dessinée, à l’intérieur du cadre est en fait inscrite dans l’accrochage même du tableau, au travers de deux longues lignes qui, partant des coins supérieurs du cadre, convergent sur le clou qui le porte.

   Chez Marie Bourget, les images, les paysages ne sont jamais des réalités séparées de la culture et des constructions mentales conventionnelles, ils semblent au contraire s’incarner entièrement dans les grandes composantes culturelles (le tableau en tant qu’objet, ou en tant que fenêtre ou miroir du monde) et optiques (la perspective) qui, minimalement, les fabrique.

Olivier Lugon

 

Marie Bourget

Vue de l'installation, Andata . Ritorno, mai 1986

photo G. Rehsteiner

 

 

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