andata.ritorno  laboratoire d'art contemporain

Aldo Guarnera

« peintures, dessins  2004 – 2005 »

Aldo Guarnera, l’art dans un mouchoir

Beaux-arts Aussi subtil que modeste, le peintre genevois piège l’œil et lui apprend à regarder au fond des choses

Le Temps, jeudi 16 février 2006

de Philippe Mathonnet

« D’une certaine façon, j’ai toujours été dans l’abstrait », avoue Aldo Guarnera. Et cela fait plus de 40 ans de vie d’artiste. « Mais, en même temps, ce genre reste lié, chez moi, au trompe-l’œil ». Ah bon ! On peut faire du trompe-l’œil en étant abstrait ?

Ce petit exploit, Aldo Guarnera (né en 1937 à Genève) le réussit en traçant des dessins et des peintures dont les motifs font songer à ceux des mouchoirs ou des linges de cuisine. Des graphismes élémentaires de lignes et de bandes parallèles qui forment des croisillons dans les angles. Les tracés, hormis ceux sur papier quadrillé ou millimétré qui prennent le contre-pied des peintures, sont légers.

Plus appuyés, ils feraient penser à des toiles comme New York City (1941-42) et Broadway Boogie Woogie (1942-43). Quand un peintre comme Piet Mondrian, après avoir aboli, par une sorte de catharsis, toute référence à la réalité, la laissait à nouveau affleurer dans ses peintures, pour évoquer la trame angulaire des rues et le swing du jazz. On n’est toutefois pas dans ce genre de rythmes chez Guarnera. « Ce n’est pas mon tempérament. Je cherche plutôt à faire quelque chose qui reste modeste, qui ne vienne pas en avant. »

Beaucoup d’Aldo Guarnera perce dans cette profession de foi. Une déclaration qui éponge aussi quasiment dix ans sans exposer. On n’est pas forcément voyageur de commerce, quand on s’éblouit à créer de magnifiques damiers de couleurs diffusantes pour faire croire qu’un verre dépoli a voilé la vision. Aucun galeriste, d’ailleurs, n’est venu y regarder de près.

« Je cherche des rapports subtils, qui ne sont pas évidents », s’excuse presque l’artiste. Sa peinture à l’acrylique, diluée comme de l’aquarelle, il la dépose directement sur la toile écrue, de lin ou de coton, plus lumineux. Et ce fond, non préparé, non enduit, l’absorbe comme une teinture. Des tons bleutés, violines, bruns, olivâtres, bordeaux atténués. Les visiteurs s’étonnent. « C’est drôle, relèvent-ils, d’être sensible à cette nostalgie. Plus personne ne possède des mouchoirs comme ça. » Le peintre trouve amusant que les spectateurs y voient du figuratif. Mais cette idée, de se retrouver aux limites du figuratif et de l’abstrait et « de les faire vivre ensemble », lui plaît. De même que lui plaît, à partir d’un objet banal, de travailler des données humbles, élémentaires. Car le vrai sujet reste : la toile. Avec cette évidence : « Le peintre a de la toile à peindre. La donne est toujours celle-là, au fond ».

Avec cette nuance pour Guarnera de démontrer que l’artiste a besoin de peu pour transformer une toile en peinture. « J’aimerais que le spectateur se dise : « Il n’a quasiment rien mis et j’y vois un mouchoir … » C’est le côté magique de la peinture. Son côté surprenant aussi. Le peintre est dans son monde, dans ses recherches. Et quand il les met sur la place publique, chacun les prend selon son histoire personnelle, ses vues propres, ses préoccupations. À l’artiste donc de récupérer, de capter ce regard. Et comme l’actualité est souvent tonitruante, Guarnera propose du calme. Ses motifs de bandes occupent les bords de la toile et laissent le centre vide, libre. Un espace de méditation ? « Je serait flatté, si quelqu’un le voyait ainsi », concède Guarnera . Et d’ajouter qu’il pense souvent à Josef Albers et à ses Hommages au carré (des années 50), série d’un bel approfondissement sur l’interaction des couleurs. Lui-même apprécie retrouver son atelier haut perché de la place Claparède avec vue sur le ciel et la cime des arbres, mais ce n’est pas une cellule de trappiste. L’art n’est pas un refuge. Pourtant : comment ne pas désirer l’harmonie ? quand Guarnera paraît l’offrir. Il faudrait juste que le spectateur ne se trompe pas, ne cherche pas à se rassurer par la régularité des lignes et du dispositif.

Fin connaisseur des pièges visuels, Aldo Guarnera vous expliquera alors ce qu’est la complaisance de l’œil. Comment l’œil escamote des aberrations pour satisfaire le besoin de normalité de la pensée. Confus, après cette remarque, vous observerez en effet dans ses peintures des asymétries que vous n’aviez pas notées. Des perturbations que le peintre a tramées « pour éviter de tomber dans le joli, ou dans l’effet décoratif. Pour installer aussi le doute chez le spectateur. Pour lui dire de ne pas se leurrer avec le sentiment de sérénité. Qu’il y a toujours un danger quelque part et des tensions irrésolues. »

Guarnera est un sage, qui trompe l’œil pour ne pas avoir à détromper la raison.

 

Aldo Guarnera. Peintures, dessins, 2004-2005.

Galerie Andata/Ritorno

(rue du Stand 37, Genève, tél. 022 329 60 69 ). Me-sa 14-18h.

Jusqu’au 4 mars

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sans titre, acryl + crayon sur lin, 81 x 81cm, 2004

Sans titre, acryl + crayon sur lin, 81 x 81cm, 2004

Sans titre, acryl + crayon sur lin, 81 x 81cm, 2004