andata . ritorno laboratoire d'art contemporain
Jacques Monory
«Le dernier tableau»
J'observe la terre. La visibilité est bonne..
J'entends tout parfaitement..
Le vol se poursuit bien. J'observe la terre..
Le vol se poursuit bien. On peut tout voir..
Une certaine partie de l'espace est voilée par des nuages
accumulés..
Je poursuis le vol. Tout est normal..
Tout fonctionne à la perfection..
Nous allons de l'avant..
Je me sens bien. Je me sens très en train..
Je poursuis le vol. Tout!: va bien..
La machine fonctionne
normalement..
(Youri Alexeyitch Gagarine, le 12.4.61)
Jacques
Monory
« le dernier
tableau » huile, arme, plexi, photo, 150 x 385cm, 1991
(Quand
les attitudes apparaissent.)
« je
suis le saint, en prière sur la terrasse, -comme les bêtes pacifiques paissent
; jusqu' à la mer de Palestine. »
A. Rimbaud (Les Illuminations)
Il y a neuf ans, je réalisais une performance intitulée "Dithyrambe", qui consistait à exposer un faux tableau de Jacques Monory, peint par mes soins. J'avais peint la copie de "Hommage à Caspar David Friedrich -No ,4 -Die gescheiterte Hoffnung", à une époque de ma vie où j'étais amoureux d'une femme déléguée au CICR. Cette femme était à ce moment-là en délégation à Bagdad. Ce travail de peinture m'aidait alors à échapper à un spleen amoureux. Monory avait eu l'ironie généreuse d'accepter ma proposition de venir signer l'authentification de ce faux le 18 juin 1982. Ce geste a été pour moi, le passage symbolique de mon travail d'artiste à celui de galeriste,
Ce fût mon dernier tableau.
Janvier 1991, Jacques Monory achève une œuvre qu'il~ cru bon d'intituler "Le dernier tableau". A ma demande, il m'envoie la photographie de cette toile le 16 janvier (quelques heures avant que la guerre ,n'éclate). Je reçois cette image le 18, juste avant le vernissage dans ma galerie d'une exposition intitulée: "Tre raggi de sole al cuore della terra " En ouvrant l'enveloppe j'ai découvert sûr l'image une croisée céleste traversant de part en part un univers organique'; un vecteur pictural ressemblant à une fusée fumigène, symbolique à la fois de l'énergie vitale et de la pulsion mortifère; .comme un signe divinatoire de l'éternel carrefour entre l'Histoire collective et l'histoire individuelle. Tout cela pour autant que l'on ait envie d'ouvrir les yeux, ne serait-ce simplement que POUR VOIR et oser risquer les émotions sublimes.
Jacques Monory est bien ce "Pré-Voyant" dont parlait Alain Jouffroy dans une lucidité critique magnifique des années 60, paraphrasant Rimbaud à son propos et à propos de quelques autres artistes que j'on appelait encore à l'époque d'avant-garde. Le medium de la peinture ne se limite pas toujours à une dénomination technique.
Mes yeux ce jour-là se sont ouverts très grands,
pleins de larmes d'effroi face à la stupidité agressive de l’homme
primitif jusqu'à la technologie sophistiquée de l'actuelle boucherie
électronique.
Mais ce jour-là, mes yeux se sont aussi embués d'autres larmes, ce11es de l'émotion foudroyante du Merveilleux, sachant et réalisant que l'ART est l'indispensable aliment de nos âmes pour nous faire mieux VOIR, VIVRE, SENTIR au-delà de la noirceur terrifiante des atrocités actuelles et passées.
Aujourd'hui, je viens de téléphoner à Jacques pour lui proposer de faire une exposition de cette UNIQUE image.
Puisse cette
image-exposition témoigner un peu de la complice amitié qui nous lie,
'comme un rayon lumineux, au milieu d'un monde en proie à la haine et à la
destruction.
Jacques écrivait à Franck Venaille, de
Joseph
Farine
19 janvier 1991
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Jacques
Monory
« Die
gescheiterte Hoffnung à Mauregny en Haye »,huile sur toile 260 x 163cm,
1977
Jacques
Monory
Jacques Monory
authentifiant la copie réalisée par Joseph Farine du tableau
« Die gescheiterte
Hoffnung » lors de la performance
“ Dithyrambe“ le 18juin 1982
Lettre envoyée à Jacques Monory
au retour de la visite de son exposition
à
Genève, le 26 avril 1990
Je reviens de ton « comme back » genevois,
jacques, j'ai vu tes travaux récents
comme autant de perles jetées dans le lac de
je te regarde à travers la cible noire et trouée et
je te vois comme un terroriste du désir. je te vois, metteur en scène ludique
et implacable de machineries sophistiquées et magnifiques de la plateforme
picturale. La cible et l'œil se confondent. Le vide nous invite à la
terrasse criblée de balles -c'est dire la vacance du regard; c'est dire le
congé du style; c'est dire l'heure du repos pour le guerrier; c'est dire la
vitesse accélérée de l'écoulement des grains dans le sablier, les secondes qui
résonnent comme des gouttes de sang sur la peau tendue du tambour de l'attente.
C'est dire le désespoir et la difficulté d'aimer puisque la cible est encore
notre propre image et que la s61ittJde pu tireur nous renvoie encore au miroir
du monde. L'écriture aussi ressemble à la guerre, "'- j'y pense en
t'écrivant dans le crépitement des mots mitraillés sur le papier, comme pour
mieux les abandonner à ce côté définitif, cruel et sans pitié, qui finit par
ressembler au morne des plaines, dit-on, des après-batailles. -
Toi, Jack, tu nous prouves que la peinture n'a pas fini de nous surprendre, au-delà des amateurs de pittoresque des cabinets de curiosité. L'art n'est pas un loisir élégant pour nous distraire de la merde du monde. L'esthétique est une fleur fanée. Nous sommes las de la vanité des déclinaisons formalistes.
l'art est à renaître sans cesse, comme le soleil qui pointe à chaque aube dans un filet mince, et lumineux, sans que personne ne le lui demande et sans avoir de comptes à rendre à quiconque, jamais, et surtout pas à Dieu; des fois qu'il existerait.
Ta peinture a la minceur de cette pellicule tendue
par l'alarme et non par les figures de style. Et tu vises en te moquant pas mol
d'’une actualité Où non à fourbir ses ormes mentales du côté de la
térébenthine bu de la rétine. Ton seul problème c’est la justesse; tu ne
t'es jamais pris pour un justicier que pour toi-même. Et c'est pour cela que
tes "Meurtres" de 68 ont une actualité politique rétroactive
particulière parce qu'ils retracent pour nous une époque dans la singularité de
la position d’un homme qui peint dans le bonheur de sa solitude et qui se
figure en peinture pour ne pas mourir de la folie du monde.
Jack, la violence n'est pas toujours là où Von croit;
la pire des violences est le manque d'invention et la normalité, qui est la
grande fourrière de la crétinerie ambiante.
Tes tableaux eux, miroitent d'une réflexion incisive
sur un monde à 'prendre et à jeter, comme l'amour qui se prend et qui se jette
comme un kleenex.
Je voulais te dire depuis "longtemps-, Jack, le
bonheur de ce bleu arrimé à une banquise de givre, qui m'obsède depuis que je
connais ton travail et qui me fait voir parfois les choses d'une nuance
légèrement différente,. mauve, particulière et nocturne même le jour.
Je voulais te parler aussi de ce plaisir délicat et
volé qui, par. Le geste (. à la fois effacé et théâtral) de la copie de ton
tableau "L'espoir aboli -Hommage à Caspar-David Friedrich!', il ya
quelques années, marquat le début de
notre amitié. Cette image je l'avais choisie dans ton œuvre pour redoubler
un hommage ironique et amoureux à la peinture -à ta peinture : Je prenais congé
ainsi de ma production artistique personnelle paf un tableau de faussaire pour
essayer de dire plus vrai sur mon embarcation dans la galère monstratrice ; ce
qui n'a jamais signifié pour moi l'abandon de la création.
Voilà, je voulais t'écrire tout cela, Jacques, et
purs surtout te dire l'intelligente lucidité de ton art qui et peut-être là
pour nous aider à vivre plus longtemps; puisque le feu n'a pas fini de couver
sous la glace quand tu nous montres un monde que tu fais chavirer de la cruauté
à la tendresse.
Bien "à toi. Ton ami
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Le Courrier
Samedi 19 et dimanche 20
mai 1984
EXPOSITION
Jacques Monory,
l’observateur et l’observé
■ Sous le titre « Encore une fois paraître à la
terrasse », Le français Jacques Monory expose actuellement dans deux
espaces de notre ville, espaces dont les buts et les propos sont
d’ailleurs fort distincts, de même que, apparemment du moins, la nature
des travaux qui y sont présentés.
Pour son inauguration, la nouvelle Galerie
Pierre –Huber accueille une série de toiles à dominante rose et jaune qui
font partie d’une suite de trente tableaux intitulée
« Toxique » présentée sous forme d’environnement en
février-mars derniers à l’ARC, au Musée d’art moderne de Paris. Ils
s’intégraient alors dans une sorte de mise en scène opposant à la masse
des tableaux une sorte de « sculpture » en plexiglas et bénéficiaient
d’une force et d’un impact visuel qu’un accrochage
traditionnel et clairsemé édulcore quelque peu.
Onirisme et réalité
Evocatrices de la « folie quotidienne »,
ces œuvres conjuguant la reproduction fidèle du réel, notamment à travers
des images traditionnelles et stéréotypées de la vie américaine, à toute une
fantasmagorie onirique créent une indéniable impression de malaise, un
sentiment de fin du monde, comme si les choses, et surtout la lumière et le
soleil, étaient soudain devenus fous. L’une d’elles, un paysage
égyptien avec sphinx et pyramides et comportant un texte comme
« dactylographié » dans la toile, s’intitule « L’observateur
et l’observé ». C’est à ce renversement ironique des rôles,
exploité dans son ambiguïté, que nous convie l’installation réalisée à
Il s’agit de photos en noir/blanc de
singes de toutes races, aux mimiques grotesques et cocasses, accrochées sur
presque tout le pourtour de la salle et parmi lesquelles apparaît brusquement
le portrait en rose et bleu de Monory. Si la figure du singe peut évoquer toute
une tradition représentant l’artiste sous les traits de cet animal et
symbolisant ainsi son désir de s’approprier le monde par mimétisme, elle
joue aussi comme une sorte d’avertissement, de clin d’œil
complice au spectateur qui devrait l’empêcher de se laisser prendre au
piège de l’apparence trompeuse des tableaux actuels de Monory, à leur
thématique insignifiante et parfois doucereuse. Le visiteur se trouve
d’ailleurs pris également dans ce jeu de reflets à travers un grand
miroir d’angle qui lui renvoie son image, singe parmi les singes,
observateur observé par lui-même. De nombreuses associations surgissent alors à
l’esprit, récits et fictions imaginaires nées de ces rencontres
hasardeuses. Elles s’inscrivent dans la droite ligne du travail de
Monory.
Fasciné par
l’Amérique
Après quelques essais peu satisfaisants dans
le domaine de l’abstraction, Jacques Monory s’est en effet proposé,
au milieu des années soixante, d’utiliser la peinture, à l’instar
du roman ou du film (genres qu’il a par ailleurs pratiqués à
l’occasion), pour raconter des histoires mêlant à des éléments autobiographiques,
à des obsessions personnelles, des emprunts à l’actualité tragique ou à
la banalité quotidienne. Procédant par montages d’images, par séquences
ou épisodes un peu à la manière des romans-photos, il se rattache à cette
« Figuration narrative » dont ont fait partie notamment des peintres
comme Arroyo ou Erró qui ont exposé à Genève tout récemment. Autre référence
importante, la découverte des artistes du Pop Art et surtout de Rosenquist.
L’Amérique occupe d’ailleurs une
grande place dans la peinture de Monory où l’on retrouve une fascination
pour ces paysages, ses grandes étendues désertiques, le culte presque enfantin
des objets (voitures, revolvers, chapeaux), un mélange de stéréotypes presque
fades, de violence et de romantisme qui se détache sur un arrière fond de roman
noir. Grand amateur de tir, l’artiste ira jusqu’à cribler de balles
centaines de ses toiles, notamment une série intitulée « Meurtre » où
il met en scène son propre assassinat dans une atmosphère froide et bleue.
Cette dominante bleue, couleur monochrome recouvrant
la toile et sur laquelle Monory projetait des images photographiques (procédé
qui est à la base de sa démarche) est aujourd’hui abandonnée, après bien
d’autres étapes, pour le jaune et le rose. La conception du tableau a elle aussi évolué
vers une image unifiée sans montage apparent où l’histoire racontée est
censée se passer, comme il l’indique lui-même, « derrière ou à coté
du tableau, qui, au premier degré, peut sembler être une image banale. Mais le
lecteur d’aujourd’hui, invité à « se raconter » à travers
elle, ira-t-il y chercher autre chose qu’une œuvre plaisante et
facile à intégrer dans son intérieur ? C’est là sans doute que
devrait intervenir l’avertissement ironique et moqueur de la galerie des
singes …
M.I.D.
Galerie Pierre-Huber, 10 bv.
Helvétique
et Galerie Andata/Ritorno,
37 rue du Stand,
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