andata . ritorno laboratoire d'art contemporain
Jacques Vieille
« Construction »
Le Courrier, samedi 22 février 1986
Pureté graphique et stylisation rigoureuse
Depuis plusieurs
années, le Français Jacques Vieille compose des sculptures qui, proches de
l’architecture, mêlent éléments naturels (bois, branchages) et éléments
archétypes de la construction (modules, colonnes, arcs, associés chez lui à des
fréquentes références au gothique).
À Genève,
dans l’espace de la galerie Andata/Ritorno, il a édifié un échafaudage fait de
pièces de bois manufacturées, une petite architecture intégrée dans une autre
architecture.
Comme un architecte, Vieille compose en fonction
de caractéristiques du lieu –à
Andata/Ritorno, une colonne dressée au centre de la pièce- et élabore son
projet de façon très précise par le dessin préparatoire. Par cette méthode, ses
pièces, bien qu’elles soient toujours
des assemblages de matériaux préexistants, (des tables, des pneus, ou, comme
ici, des tréteaux), n’ont jamais, contrairement à l’essentiel de la jeune
sculpture actuelle, un aspect bricolé. Elles apparaissent au contraire toujours
d’une très grande pureté graphique, d’une stylisation rigoureuse.
Sculpture et lieu indissociables
Jusqu’à présent, on connaissait de sa
production soit des objets, au sol, de grandes colonnes déposées à
l’horizontale, soit des « monuments », édifications verticales minces
et hautes. La pièce genevoise, elle, est plus que jamais proche de
l’architecture : à la fois étendue sur une large surface au sol, et
dressée de façon à occuper toute la hauteur de salle, elle crée véritablement
un espace. Deux charpentes couchées, elles-mêmes faites de tréteaux empilés sur
le flanc et composant un entrelacs de lignes et d’angles forment deux pointes
que relie une mince paroi de grandes planches. Celle-ci est arquée en son
milieu par la présence de la colonne qui lui impose sa pression et l’oblige à
s’arrondir. Par ce jeu avec le pilier, la sculpture se trouve ainsi bien
indissociable du lieu qui l’abrite qu’en légère tension avec lui : colonne
et sculpture y renforcent mutuellement leur présence, révèlent ce qu’elles
impliquent chacune de tension et d’appui.
Un peu à l’image du gothique, cette architecture, de
tréteaux et de plaques est avant tout à l’opposé de la masse et du bloc, un art
de qualité graphique, de légèreté et de semi - transparence. L’artiste la
définit lui – même comme du dessin à trois dimensions, « des lignes
simplement organisées dans l’espace. »
Contrairement
à nombre de ses œuvres précédentes, Vieille ne joue pas ici du rapprochement
entre architecture et nature, de cette vieille tradition théorique et poétique
qui lie les éléments architecturaux aux formes végétales, notamment la colonne
à l’arbre. On ne retrouve cette préoccupation poétique que dans une petite
pièce murale présentée conjointement dans laquelle des bouquets de branchages
élancés tissés dans un morceau de grillage de jardin se rejoignent à leurs
pointes en des arcs brisés rappelant les lignes gothiques.
Si cette
volonté de réunir en un seul objet les signes de la nature et ceux de la
civilisation, les données primitives et les constructions de l’esprit rappelle
certains aspects lyriques de l’art povera, il semble, au vu de l’installation
genevoise, que Vieille soit en train de s’en écarter un peu. Il paraît, en
effet, épurer toujours son travail et vouloir aujourd’hui donner à sentir les
données les plus immédiates de l’architecture, comme la composition par
répétition, la tension, la poussée. Il débouche sur un art de construction
claire qu’on pourrait qualifier de plus proprement
« français » : limpide, serein, ordonné et éminemment élégant.
Galerie Andata/Ritorno, jusqu’au 8 mars 1986
Jacques
Vieille
39 tréteaux + contreplaqué 255 x 310cm, 1986
Jacques
Vieille
« sans titre »
grillage, obier,
105 x 205cm, 1986
Jacques
Vieille
« sans titre »
douze panneaux de polyréthane, quatorze agaves
artificiels, deux stores vénitiens, 250 x 400 x 20cm,1995
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